American snipers
A peine trois jours ici, et j'ai le sentiment que ce voyage va se baser sur des rencontres inattendues. J'ai toujours senti ce paradoxe dans ce grand pays, celui qui fait que les frontières se ferment de plus en plus, alors que le peuple fait partie de celui qui communique le plus. Dans la rue, les gens se saluent partout, à pied, à vélo, dans les queues des supermarchés, les gens causent pour un rien. Chez nous on s'en fout, et d'ailleurs si on entame une conversation, on est vite pris pour un malade qui veut pénétrer notre zone de confort sans permission.
Ici, moins je te connais, plus je te parle. Le douanier qui m'a mis le tampon sésame sur mon passeport, m'a demandé mon avis sur les OGM. Wow, la réponse où y faut pas se louper..J'ai dit pas bon, le tampon encore frais de l'encre bleu s'est abattu sur la page vierge.
Hier, cerise sur le gâteau à la crème, on est parti se balader au marché international. En résumé allons voir les étrangers qui habitent ici. Carla, la femme de Steve, parle cinq langues, et est interprète pour les communautés souvent pauvres qui viennent se faire soigner à l’hôpital public. Elle m'amène à ce marché. On y mange éthiopien avec les mains et bien sur on dit bonjour à tout le monde. Elle me présente plein de Congolais notamment, des gens qui ont fuit l'horreur de Bangui en feu, mais qui ont les commissures des lèvres collées aux oreilles dès qu'on se met à parler en français. Back to the roots. Notre langue est encore source de rapprochement, quelle bonne nouvelle. Une famille de six enfants, dont la femme se prénomme Girda et le mari Méthode (parait que son frère s'appelle Matériel, et sa sœur Protocole). Le petit dernier habillé en jean's c'est Jojo, et la moyenne avec un chignon de faux cheveux sur la tête, c'est Olive. Ils sont tous beaux. Méthode transpire la douceur, Girda la générosité. Des gens simples qui viennent tout juste d'obtenir la citoyenneté US, et s'ils devaient posséder des armes, ils tireraient des balles de bonté. Ils semblent heureux, Jésus n'y est surement pas étranger, sur ce coup là, je m'en fous. Welcome.
Autre lieu, autre vie, celle de Gordon. Une masse de muscles, un visage de poupon. Gordon a servi en Irak, Afghanistan, Koweït, Jordanie. Il a rencontré la légion étrangère française, une légion d'hommes très expérimentés sur le terrain, dit il, mais qui savent boire, faire la fête et parler des femmes, des français quoi. Son rêve à Gordon est de retourner dans ces déserts, pour aider ces peuples attaqués par l’extrémisme. On ne sent aucune haine dans ses propos, juste un discours bien rôdé sur l'ennemi d'en face, un formatage obligatoire, inévitable. Cet American sniper a du abattre quelques âmes impies qu'il nomme gentiment fucking talibans, mais ce soir ce sont des bières au litre qu'il abat. Ce gars est surement responsable avec tous ses acolytes armés de tous pays de la situation du monde actuel, et pourtant pris individuellement, Gordon est un être bon, doué de compassion. Il faut replacer l'humain dans la société, sinon on ne peut avancer. Il était minuit, on avait tous pas mal bu, pas mal mangé du baba ghanoush d'aubergine avec des galettes de pain irakiens trouvé à Boise, ma voix avait définitivement disparu, et j'étais celui qui parlait à l'oreille du sniper. Je tombais de sommeil, et en disant au revoir à Gordon, j'ai d'un coup sans m'y attendre reçu le hug le plus tendre de mon existence. La vie se construit vraiment sur des gestes gratuits.
So far, so good