36mn au paradis
Chaque année je vais à Visa pour l’image, c’est pour moi en septembre, à Perpignan, un moment incontournable de croiser le travail de photojournalistes du monde entier qui font un métier incroyable. Pour moi, un photojournaliste est un héros. Il appuie sur un déclencheur pour raconter l’Histoire de notre monde contemporain, trop souvent au péril de sa vie. Que saurions-nous sans eux des gangs du Guatemala, de la survie du peuple syrien, des jeunes filles mariés à des notables en Afghanistan, de l’enfermement comme du bétail des fous en Chine? Rien, que dchi, nada. Je n’ai absolument rien en commun avec ces héros, si ce n’est la jubilation d’appuyer sur le déclencheur.
Mercredi 22 juillet, 18h, le soleil se couche sur la route qui mène à Tashkent. Pause pipi en bord d’autoroute. On est au milieu des montagnes désertiques, à 600m d'une altitude où la poussière ne se pose jamais. C'est un marché de melons et de pastèques, comme il en existe des milliers en Ouzbékistan. Les gens viennent en famille choisir le bon fruit, ils le tapotent, le sentent, négocient et repartent avec un, deux, ou un coffre entier. On se pose au bord de l'abri de fortune, et on déguste un melon à l'incroyable saveur douce et sucrée. Mon cœur bat à 200. Tout est beau. Des femmes aux robes à fleur endormies sur des lits de fortune, des enfants qui courent avec une curcubitacée trop lourde pour eux, un illuminé étouffé par son sourire en nous voyant, même les melons me font penser à des poitrines opulentes qui me regardent avec leurs tétons dressés vers moi. Je suis drogué par la lumière, enivré par les couleurs. Je me déplace comme si je dansais, où mon regard se pose, je vois une scène de vie. Je mitraille.
J’ai en général du mal avec les personnages. J’ai toujours l’impression de leur voler leur âme, et souvent je prends de dos. Là, j’ai lâché ma peur, opiumé que j’étais. A l’heure où j’écris ces mots, deux heures se sont passées, et mon corps vibre encore, comme la fois où j’ai sauté en parachute au dessus du Ventoux. Adrénaline, quand tu nous tiens.
So far, so good